Certaines personnes ont un destin tout tracé depuis leur naissance. Ils seront noble, paysan, marchand ou même roi. Ils suivront les traces de leurs parents, celles qu’on a dessinées pour eux. Les filles seront douces, les garçons durs à la tâche ou combattifs.

Solveig aurait pu suivre les pas qu’on a tracé pour elle. Elle est fille d’un noble d’Australis. Sa famille ne fait pas parti spécialement des gens influents de la Cour mais ils ont une vie bien ordonnée et aisée. Elle est la deuxième des trois filles que ses parents ont eues. Sa grande sœur, Astrid, est destinée à devenir chef de famille après leur père. Elle, elle doit faire un beau mariage qui ne coutera pas trop cher et apportera de l’influence. Comme sa petite sœur, Liv. Son père râle un peu quand elles sont enfants de ne pas avoir de garçon.

Solveig s’en moque. Elle aime ses sœurs et sa famille comme elles sont. Elle a de beaux jouets en bois, des amis dans la maisonnée et chez les filles nobles de son âge. Elle a le droit de faire beaucoup de choses qu’on n’autorise pas à Astrid. Bien sûr, elle se fait gronder quand elle revient avec un pantalon sale parce qu’elle a couru dans le jardin mais quelle importance ?

En grandissant, elle ouvre les yeux sur son environnement. Elle a douze ans et elle passe son temps à faire le mur, à visiter les quartiers populaires de Thiiel. Elle s’habille et parle comme les gens du peuple et ça lui plait. Et un jour elle passe devant la forge. Elle reste devant l’entrée pendant une heure à regarder le forgeron faire une épée. Elle n’arrive pas à décoller ses yeux de ses mains qui façonnent le métal.

L’homme ne la remarque même pas, petiote de 13 ans déguisée en fille du peuple qu’elle est. Quand elle arrive enfin à se détacher de la forge pour rentrer, il fait nuit. Elle l’impression que les braises et le feu se sont imprimés sur sa rétine de façon permanente. Elle ne remarque qu’à peine l’inquiétude de sa mère à son retard au repas, même pas changée et les cheveux qui sentent le bois brûlé. Ses sœurs lui lancent des regards en biais. Elle s’en fiche. Elle a l’impression d’être dans un état second, comme en transe.

Le lendemain elle y retourne, puis le jour d’après et celui d’encore après. Même si c’est juste passer devant les jours où elle n’a pas le temps de s’arrêter, elle y va. La fascination se change en respect, en désir. Une passion qui brûle dans son cœur comme les flammes de la forge. Solveig n’a pas encore quinze ans mais elle le sait, elle veut devenir forgeronne.

Quand elle en a seize, elle se décide à enfin adresser la parole à celui qu’elle voit comme un magicien. Il lui rit au nez quand elle lui demande de la prendre comme apprenti. Le travail du métal c’est pas pour les petites princesses aux mains blanches. Elle lui demande quand même le lendemain, puis le jours d’après et celui d’encore après. Chaque jour elle revient et pose la même question. Un jour Erik lui demande pourquoi et, avec un grand sourire, elle lui parle de tout ce qu’elle l’a vu faire, de tout ce qu’elle a appris en l’observant.

Un mois plus tard, elle enfile pour la première fois un tablier de cuir un peu trop lourd et trop grand pour elle et elle forge sa première arme. Elle est affreuse, le fil de la dague est tordu, le métal un peu noir par endroit. Elle en est énormément fière. Elle la cache dans un morceau de cuir et la ramène sous sa chemise à la maison.

Solveig n’a jamais été très préoccupée par l’avis de ses parents sur ce qu’elle faisait en dehors de ses leçons. Elle est assez grande pour se promener dans la ville seule si elle en a envie. Astrid la regarde d’un œil critique quand elle revient avec des écorchures et des brulures aux mains mais elle ne dit rien. Liv s’inquiète et l’aide à soigner ses bobos pour ne pas que leur mère pose de questions.

Elle a du mal à jongler entre ses différentes obligations, les leçons, la forge, les aléas de la cour auxquels elle doit participer. Elle est fatiguée, souvent en retard, distraite quand elle ne forge pas. Ses parents la présentent à de jeunes hommes en espérant la marier rapidement maintenant qu’elle a 18 ans. Astrid est déjà fiancée, Liv flirte et passe d’un soupirant à l’autre comme un papillon. Solveig ne les regarde qu’à peine. Elle a déjà des amis mais ce sont des domestiques, des gens qu’elle a rencontré dans les rues de la ville.

Sa mère finit par la coincer en la suivant un jour. Sol ne comprend pas son mépris. Elle refuse de rentrer à la maison quand elle lui pose un ultimatum. Elle ne veut pas se fiancer avec le fils d’un tel. Elle sera forgeronne ou rien. A sa grande surprise, Astrid la soutient. Leur père semble indifférent à l’idée et lui dit qu’elle peut faire ce qu’elle veut. Leur mère s’incline de mauvaise grâce.

Solveig a 21 ans quand elle part de chez elle pour s’installer à son compte. Erik dit qu’il n’a plus rien à lui apprendre mais elle lui rend visite régulièrement pour discuter techniques et métaux. Il lui ébouriffe ses cheveux affectueusement en la taquinant. Elle a envie de le rendre fier et d’un jour forger une arme qui rentrera dans les légendes.