Quelle étrange ville. Loin, très loin de ce que tu pouvais imaginer. Si loin que tu as encore l’impression de rêver. Qui aurait cru qu’une telle atmosphère, qu’une telle végétation pouvait cohabiter avec une ville ? Toi qui pensais qu’à quelques différences près, les villes du continent seraient pratiquement toutes similaires. Tu t’attendais à de l’eau, des pierres et de la hauteur. Te voilà pourtant entouré de racine, de feuille et de branche. Pour autant, tu es bel et bien en ville. Tu peux apercevoir les échoppes en train de fermer leur porte, les habitants rentrés dans leur demeure qui, pour la plupart, sont recouverts de mousse.  Qui aurait cru que malgré l’avancé dans l’année, malgré de faibles températures il fasse aussi bon ici ? Tu t’attendais à quelque chose de plus sec, plus mordant. Et, bien la nuit reste fraiche, tu es surpris de voir que tu n’as pas si froid que ça. Tu es aussi surpris lorsqu’en levant la tête tu ne vois presque pas le ciel étoilé. Ce n’est qu’au travers des branches que tu arrives à l’apercevoir. Arbor et principalement Riwe semble être un monde totalement différent de chez toi…

Tu n’as pas eu trop de mal à entrer sur le territoire d’Arbor. Moins que si tu avais dû franchir la milice de l’Empire. Ici, tout te semble plus tranquille, plus reposant. Peut-être est-ce dû au fait que la ville commence à s’endormir vu l’heure qu’il est. Après plusieurs heures de marche et plusieurs allers retour dans les rues, tu dois t’avouer vaincu. Une fois de plus. Eina, tu es perdu. Les grandes villes ne sont définitivement pas ton fort. Tu ne peux même pas dire que tu vas te reposer dans une bonne auberge et te réchauffer avec un plat chaud, de préférence de la région, pour cause tu n’as pas d’adresse où aller. Et même si tu en avais une, ta bourse ne partage pas le même avis et la même envie que toi… Tu n’as pas trouvé grand monde pour ton petit commerce sur le chemin pour venir et ce n’est pas cette étrange femme qui aurait pu te demander de bosser non plus… En somme, tu es fauché, affamé et sans foyer Eina. Tout du moins pour cette nuit. Tu aimerais trouver des clients, n’importe qui en fait. Tant que cette personne peut te payer pour les réparations que tu offres, n’importe qui te va, vraiment. Hélas, tu dois te résigner. Qui serait encore à la recherche d’un forgeron dans une ville la nuit, alors qu’il suffit d’attendre demain pour en trouver un nombre inimaginable ? D’autant plus que tu n’inspires pas vraiment la confiance Eina…

Alors, tu lâches un râle de mécontentement. Alors, tu allumes ta cigarette en pestant contre ton manque d’expérience pour prévoir l’imprévu. Et laissant ton regard se perdre sur la rue complètement vidée depuis le temps que tu tournes en rond, tu entends, pas si loin que ça, une autre âme malchanceuse grogner. Au moins, tu n’es pas seul sur ce bateau… Tu décides de t’approcher, quitte à être deux à râler, autant se plaindre ensemble. Cela égaiera peut-être ta nuit à la belle étoile. Quel drôle d’individu tu as vu en avançant. Plus étonnant encore, quel drôle d’oiseau il avait. Cet étranger avait déjà quelqu’un avec qui se plaindre finalement… même s’il ne s’agit que de son piaf. Toutefois, ta malchance semble tourner, tout comme la sienne, enfin à condition que tout le monde soit partant. Bien que d’ordinaire tu n’aimes pas d’immiscé dans les problèmes des autres, tu te permets cette fois de le faire, la faim ne te laissant pas vraiment d’autre option.

- D’honnête homme, j’pense pas. Mais si un étranger qui a le matos’ nécessaire pour s’occuper des armes t’intéresse, j’suis toujours ouvert. J’ai trop la dalle pour r’fuser qui que ce soit ce soir…

Ca ne coûte rien de tenter le coup. Au pire il t’enverra chier et tu auras toujours faim, au mieux il accepte et vous trouvez tous les deux votre compte. Toi de l’argent pour bouffer et lui il aura sa lame comme il veut.

Ta proposition ne semble pas vraiment plaire ou intéresser l’homme. Tu as juste réussi à attiser sa méfiance Eina. Peut-on lui en vouloir ? Après tout, de vous deux c’est toi le plus suspect. On pourrait aisément te prendre pour un délinquant à sortir de nulle part au beau milieu de la rue pour venir aborder de pauvre innocent et leur vendre Dieu sait quoi. Gagner un minimum sa confiance risque d’être un travail de longue haleine… et tu n’as pas envie de t’y mettre pour être honnête. Encore moins lorsque l’on te scrute tel une marchandise pour savoir si tu es taillé ou non pour le travail.

Le privilège ? Tu ne comprendras décidément jamais en quoi un bout de ferraille à autant de valeur aux yeux de certains. Que l’objet soit important à la rigueur, mais tu as presque l’impression qu’il en parle comme s’il allait te remettre la vie de quelqu’un entre les mains… Et ce mépris à ton égard simplement parce que tu ne parles pas comme la haute t’insupporte encore plus. Ce type est exactement le genre de personne que tu exècres le plus. Tu comptais faire affaire, souhaitais bosser qu’importe le client pour aujourd’hui, mais tu ne vas certainement pas t’abaisser à courber l’échine !

- J’me souviens pas avoir dit que tu serais d’accord, j’propose ni plus, ni moins. Maintenant, si ma tête te revient pas, rien ne te retient, t’as qu’à tracer ton chemin. T’attendra demain comme tous les autres villageois que les échoppes r’ouvre, ton poignard n’doit pas être dans un état si catastrophique si ça n’urge pas.

Si tous les gens d’Arbor sont comme lui, tu ne risques pas de remettre les pieds d’aussi tôt dans le coin. Ta dernière latte tirée, tu écrases ta clope dans un endroit qui ne dérangera personne avant de bâiller un coup. Tu ne vas pas te prendre la tête ce soir, encore moins quand tu ne connais pas bien les lieux si ça tourne mal. Alors, tu n’insisteras pas sur ta demande, toutefois, tu ne vas pas rester sans rien dire alors qu’on te crache ouvertement à la gueule que tu n’es pas du coin et que tu ne sais apparemment pas parler comme un snob.

- Au passage, un artisan a aussi le droit d’refuser un client désobligeant qui ne serait pas capable d’apprécier le travail qu’il fournit.

D’autant plus que c’est bien souvent dans les coins reculés que le travail est le mieux effectué. On voit rarement de grandes villes à côté des zones de guerre non ? En cas de problème on se dirige plutôt vers le premier patelin disponible, en priant qu’il y est quelqu’un capable d’aider. Sans te vanter, ce n’est pas dans les capitales que tu as vu les meilleurs artisans, loin de là. Les armes qui y arrivent sont déjà presque comme neuves ! Y a jamais de boulot à faire dessus, c’est désespérant…  En même temps, l’acier n’est pas souvent utilisé dans les patrouilles, à part à faire jolie, il n’y a pas beaucoup d’utilité à l’arme d’un garde.

C’est que tu lui ferais bien manger son piaf à ce petit con. Il pense pouvoir de la mettre à l’envers ? Il pense vraiment que s’amuser à tourner autour de toi d’un pas lent et scrutateur va t’intimider ? Si c’est le cas, il te déçoit encore plus que ce n’est déjà le cas. Pendant son petit jeu, tu ne cherches même pas à lever le petit doigt ou à lui prêter le moindre intérêt. Clairement, ce n’est pas un client qui le mérite. Non. Ce type n’est même pas digne d’être un client. Ce n’est qu’un pauvre type qui se croit juste mieux que les autres. Ça te fait presque un peu de peine Eina. Il ne doit pas souvent s’amuser dans la vie, et sans doute il ne doit pas avoir beaucoup de gens autour de lui. Du moins des gens qui ne sont pas là pour lui lécher le cul à cause de son rang ou de sa bourse.

Au risque de le décevoir, ta fierté importe plus que quelques pièces ! Et jamais, toi, Einarri Void, ne t’abaissera à courber l’échine devant quelqu’un ! Et si cela te conduit un jour à crever dans un caniveau, car tu as refusé de dire oui pour survivre alors qu’il en soit ainsi. Au moins, tu auras clamsé en restant sur tes principes et sans demander l’aide de quiconque. Sans jamais avoir abandonné ce qui fait de toi ce que tu es, un être trop hautain pour avouer sa défaite. Tu préfères vraiment te passer de repas un soir de plus et dormir dehors plutôt que d’accepter l’argent de cet homme. Ce n’est pas un jour qui te tuera et tu ne lui donneras pas la satisfaction d’avoir raison. Tu ne daignes même pas regarder ce qu’il te tend et le dépasses sans faire plus de manières.

- J’l’ai déjà dit, un artisan peut refuser un client désobligeant. Qu'est-ce que tu piges pas là dedans ?  T’attendra demain, comme les autres gens du coin.

Sans plus de manière, tu entames ta marche en le snobant. Pas besoin de s’attarder plus que cela sur le sujet, ça ne te mènera nulle part. S’il veut jouer, grand bien lui fasse, mais il va devoir trouver un autre joué, t’es pas d’humeur pour ça. Tu es loin d’être idiot Eina, et tu n’aimes pas qu’on te prenne pour un débile juste parce que tu n’es pas de la région ou issu d’une basse famille. T’es pas un chien et tu ne ronges pas les restes des autres !