Astéria prend souvent son temps lorsqu'elle n'est pas en présence des nobles ou de la royauté. Cela ne la dérange pas tant que cela de la faire attendre son interlocuteur ; mais qui vient à lui demander un service peut bien attendre une minute, pas vrai ? Bien sûr, elle ne le fait pas uniquement pour le plaisir de faire patienter Arizael : il lui faut un instant pour ordonner ses pensées, trier ce qu'elle peut et ne peut pas dire, mais aussi analyser ses intentions. Et sans information, elle se retrouve face à un problème.

L'homme aux boucles noires prend sa tasse et en hume le parfum — elle apprécie beaucoup le café qu'ils préparent dans cette boutique, bien qu'elle ne le supporte que peu. Très réactive à la caféine, elle se serait sans doute révélée plus agressive ou impulsive qu'elle ne l'aurait désiré pour leur entretien.

Astéria acquiesce, lui offrant cette fois l'ombre d'un sourire. Ne rien laisser au hasard, c'est bien la clé de toute entreprise au palais... Elle se sert son thé tout en l'écoutant parler. Elle apprécie son ton sérieux et sa tournure directe. Le visage s'éclairant lentement de compréhension, mais aussi bien de curiosité (il vient de parler d'un vieux livre), la téléporteuse acquiesce une seconde fois.

—Quel beau présent de la part de la République. La Reine sera sans aucun doute ravie.

Tout comme les représentants de la République ont été ravis de recevoir ce bel arbre, sans nul doute ; jeu de pouvoir, mais que voulez-vous, la politique est ainsi faite. Dans tous les cas, cela va sans doute alléger l'humeur de Son Altesse lors de la rencontre. Astéria ne voit pas vraiment comment cela pourrait se passer mal, avec le franc-parler d'Arizael et le message d'amitié qu'il semble apporter de la part de la République.

La question du pouvoir reste cependant en suspens, et il a l'air bien embarrassé d'y répondre. La rouquine incline subrepticement la tête ; pourquoi se sent-il embarrassé ? Pour sa part, elle n'a aucun problème à l'exhiber... sans doute parce que, pour l'arrêter, il faut déjà l'attraper. Pas une mince affaire. Elle conçoit cependant que tout le monde ne ressente pas la même chose à l'égard de son don.

—Je comprends tout à fait. Tu m'en voies désolée.

Désolée, certes sincèrement, mais il est évident dans son attitude qu'elle ne se rétractera pas. Aussi attend-elle sagement, mains croisées sur ses cuisses, ce que l'homme va lui montrer… et avant de le voir, Astéria le ressent. Sa main va naturellement se porter à son pic à cheveux pour le maintenir, alors qu'une main invisible semble le soulever, mais les boucles sont déjà relâchées et retombent dans son dos et sur ses épaules. Mine surprise. Mine gênée. Ses cheveux, c'est aussi une chasse gardée, monsieur le républicain. Sais-tu combien de temps elle met pour les coiffer ?

Elle replace une mèche de cheveux couleur de feu derrière son oreille, tâchant de respirer au même rythme que précédemment. Mais l'adrénaline et le changement de cadre soudain, le fait de s'être montrée si surprise durant quelques secondes, lui fait perdre un instant ses moyens. Panique intérieure. Il faut qu'elle se reprenne.

Elle inspire, puis sourit. ("Calme-toi, calme-toi, calme-toi, calme-toi...")

—En effet. Merci.

Les mots ont failli se coincer dans sa gorge, et elle a parlé sur un ton plus bas que précédemment. Léger éclaircissement de la gorge. Elle tâche de reprendre une posture droite. Il lui fallait uniquement des renseignements de base. Un test. Maintenant, cela lui convient. (Même si elle panique.)

Elle tâche de parler lentement pour ne pas le noyer sous les informations. Ce ne sont des secrets pour personne.

—Bien. Au sujet de Sa Majesté, je vois en elle une bonne leader. Elle est déterminée et franche, elle est directe. Elle est cependant encore jeune, et elle souhaite asseoir son autorité auprès de ses conseillers et de ses ministres. Intransigeante. Elle ne saurait tolérer aucune fausse note, aucune remise en question de la part d'un tiers. Cependant, elle accepte les conseils. Elle cherche à faire de son mieux en restant juste.

Sa voix s'adoucit. Astéria est plus jeune que la Reine, mais comprend que les responsabilités qui lui incombent à son âge sont bien plus disproportionnées que celles des Omniscients qui lui offrent leur soutien… Quelque part, elle lui porte beaucoup d'admiration. C'est aussi pour cette raison qu'elle est si zélée. Elle ne sait pas encore exactement de quoi cette Reine est capable, mais elle a très hâte de le voir.

En tant que jeune souveraine, et qui plus est une femme, elle doit redoubler d'efforts pour obtenir l'approbation de certains.

—Elle est curieuse et ouverte, vive. Elle nous pose des questions, aussi va-t-elle sans doute t'en poser sur l'endroit d'où tu viens et tes fonctions. La meilleure chose que je puisse te conseiller et d'y aller sans détour et d'être toi-même, tout en n'oubliant pas qu'il s'agit d'une Reine, sourit-elle en coin.

Son nez se plisse quelque peu dans son sourire.

—Je ne sais pas comment elle agira avec un Omniscient venu d'ailleurs. Mais je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle te fera bon accueil : un présent aussi inestimable te vaudra au minimum politesse et bienveillance ; et ton caractère, probablement sa sympathie. Cela étant, je ne peux me targuer de connaître les pensées de Sa Majesté, aussi prends mes conseils avec des pincettes. Cela répond-il à tes questions ?

On ne sait jamais, des fois qu'elle verrait dans ces cérémonies un sombre ennui ou un moyen quelconque de l'acheter, peut-être est-elle capable de mal réagir, ou d'être plus distante... Mais Astéria n'a quasiment aucun doute : cela n'a que peu de chance de mal se passer. Enfin, sauf s'il s'amuse à la décoiffer, elle aussi !

Astéria prend son temps dans ses explications. Elle tient à brosser un portrait fidèle de la souveraine, tout en cherchant à rester correcte. Evidemment, elle en aurait davantage à en dire ; mais tout cela ne le concerne que peu. Sa propension au manque de prudence en fait partie, bien entendu.

En attendant, l'homme face à elle boit son café tranquillement, sans l'interrompre. Il est agréable d'être écoutée jusqu'au bout, surtout lorsqu'elle prend la peine de faire les choses correctement.

Lorsqu'elle estime avoir terminé, elle attrape la théière pour se servir. Le thé doit être infusé. Il a une jolie couleur caramel, et une forte odeur de plantes et de fleurs, quelque peu sucrée par le miel. Sa tasse lui réchauffe le bout des doigts, elle souffle sur le liquide. Le sourire de l'homme en face ne lui échappe pas : il a l'air ravi. Elle est un peu plus calme après son long discours.

La jeune femme acquiesce une fois, puis une seconde, comme pour lui dire de rien.

—Je n'ai pas réellement d'autres questions. Après toi, c'est toi qui es venu m'en poser, répond-elle avec un sourire en coin. Nous avons régulièrement des Conseils, oui, plusieurs fois par mois, afin de préparer les grands événements et réfléchir ensemble à la gestion du Royaume.

Même si, dans les faits, cela ne se déroulait pas exactement de cette manière. Les Ministres ont grand pouvoir sur leur département...

Elle ne repose pas sa tasse tout de suite, buvant silencieusement sans quitter Arizael des yeux. Hm. Question fâcheuse. Les méninges d'Astéria se remettent en marche à la vitesse de l'éclair. Evidemment qu'il y a des mécontents du couronnement de la Reine, et évidemment que des gens à la Cour posent problèmes — à commencer par certains Ministres un peu trop conservateurs. Tout le monde ne soutient pas l'abdication de Sa Majesté le Roi, et encore moins l'arrivée au pouvoir d'une jeune femme dans la vingtaine et au caractère très peu malléable. Quelqu'un a déjà tenté de l'assassiner, après tout. Ce pourquoi elle reste sur ses gardes. Cela étant, elle ne peut pas expliciter les choses de cette manière pour quelqu'un qui viendrait de l'extérieur. Même si Arizael est un Omniscient de Vanyar, il peut tout à fait s'avérer devenir un ennemi un jour : Astéria en est consciente et refuse de commettre la moindre bévue.

—Il y a toujours des mécontents et des traîtres, ce pourquoi je n'ai confiance qu'en moi-même, en Vanyar, réplique-t-elle après quelques secondes de silence, avant de reprendre une gorgée de thé, et en mes deux collègues Omniscients.

Pragmatique. Elle ne sait cependant pas à quel point l'équipe du palais est fiable. La plupart du personnel a vu grandir la Souveraine, et y est particulièrement attaché ; mais il n'est pas rare d'avoir des changements d'allégeance vifs comme l'éclair lorsque quelqu'un souhaite faire un coup d'état. Cependant, pour laisser le trône vide, il faudrait aussi s'arranger pour faire disparaître le Roi et son épouse… Et à moins d'une attaque militaire violente et ravageuse, ou un complot d'une sacrée envergure, la situation reste approximation tenable pour le moment. Le plus à craindre pour l'instant serait que quelqu'un parvienne à manipuler la Reine ; il faut dire que ceux qui souhaiteraient le tenter sont assez mal barrés.

La réponse d'Astéria semble provoquer un profond émoi chez son interlocuteur, qui ouvre de grands yeux étonnés — ce à quoi la jeune femme répond par un haussement de sourcil interrogateur. Oh, voilà qui explique… La République ne se réunit donc pas tant que ça ? C'est assez étonnant, elle imaginait que dans un tel système, les réunions se devraient d'être plus fréquentes. Par exemple, au moins une fois par semaine. Sa question lui tire cependant un sourire, qui fait se plisser légèrement le coin de ses yeux ; elle le cache de son mieux en buvant une gorgée de thé.

—Il n'y a pas grand monde qui sache des choses sur moi, je crois, s'amuse-t-elle en reposant sa tasse, avant de reprendre plus sérieusement. Je ne me considère pas proche d'elle, on se connaît peu. Elle doit cependant être au courant de mon parcours : il n'est pas très difficile à retracer. Je la crois néanmoins plus proche d'autres membres du Conseil. J'essaie de séparer travail et vie personnelle, je ne vois aucun bien à être proche de la royauté.

Raison pour laquelle elle n'a actuellement pas grande vie personnelle ; elle a un peu trop la tête dans le guidon ces derniers temps… Et pour ce qui est d'être proche de la Souveraine... Eh bien, il leur faudrait discuter, pour cela. Elle ne sait pas trop comment définir leur relation ; mais elle est sa subordonnée. Pourtant, elle l'intrigue, cette femme. Un jour, peut-être, si les Esprits le veulent.

Elle ne parvient pas à retenir un semblant de rire lorsqu'il continue. Le médiateur un peu bruyant ?

—Je n'en doute absolument pas.

Doucement, la jeune Omnisciente acquiesce. Elle esquisse à nouveau un sourire, plus poli. Elle ne doute pas non plus qu'il soit à même d'avoir cet entretien avec la Reine ; lui qui avait l'air assez anxieux de prime abord à ce sujet semble pourtant gérer les situations sociales avec brio. Pas comme Astéria, qui se doit souvent d'être suffisamment ferme pour être prise au sérieux, mais suffisamment souple pour ne pas leur donner envie de l'enfermer dans une caisse en métal et la jeter dans la mer un de ces jours.

La théière d'Astéria se vide lentement ; la tasse d'Arizael est vide depuis bien longtemps. Il semble hésiter, mais pas très longtemps, avant de lui sourire et lui poser une nouvelle question. Ou plutôt, une nouvelle requête. Un coup d'oeil sur l'horloge murale lui apprend qu'elle a un peu de temps devant elle. Elle calcule le temps que cela leur prendrait de tête, avant de secouer la tête :

—Hélas non, pas de plan. Mais je peux te servir de guide, oui. J'ai à y faire ; ça ne me fait pas faire de détour.

Disons qu'elle réorganise simplement son emploi du temps. Les dossiers qu'elle souhaitait récupérer le lendemain pourront être ramenés chez elle dès ce soir ; elle pourra y plonger son nez durant la soirée en prenant son temps. Elle lit toujours aussi lentement. Et puis, elle ne l'avouera pas, mais elle apprécie sa compagnie ; cela lui change des têtes habituelles qu'elle côtoie.

Terminant son thé, elle repose une dernière fois sa tasse, sourit.

—Pouvons-nous y aller ?

Puis elle se souvient ; elle porte à nouveau sa main à son pic à cheveux et le retire, nez plissé dans sa moue, avant de commencer à rassembler ses mèches.

—Ah, il va falloir que je me recoiffe… Ca ne prendra qu'une minute.

Elle ne se montre pas décontractée au palais ; pas elle.